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Sec. XIV

Ovide moralisé en prose, pp. 89-93

Autre fable de Calisto la belle, que Jupiter engrossa

Quant dudit Pheton fut le feu estaint et le monde derechief enluminé, Jupiter se doubta que le feu eüst brullé et percé le ciel, si s’en donna garde et le trouva sain et entier. Et puis vint regarder la terre, et pour la grant challeur devant dicte la trouva encores seiche et decrevée et les gens cuiz et eschauldez. Mais pour ce que à cause de sa nourriture de jeunesse il avoit le pays d’Archade en especialle recommandation, il y va et remisit icelle terre en verdure et si y remplisit et fist courir les rivieres et les fontaines et aussi les arbres fueillir et fructfier comme paravant. Et en allant et venant ça et là en icellui pays d’Archade il trouva une moult belle et jeune damoiselle, nommée Calisto, de laquelle il s’enamoura tantost qu’il l’eut veüe assemee moult gentement sans grant cointerie. Icelle Calisto avoit aprins et acoustumé de chasser aux bestes saulvaiges. Et pour ce faire portoit ung arc turquoys avuecques son carcatz garni de dars et de fleiches, et si fut la plus acointée et privée de dame Dyane que nulle autre de sa meignée par aucun temps, qui gueres ne dura, car amours de riches ne durent communement guères. Aussi Calisto, dont je parle, pour petite achoaison perdit la grace de sa dite dame. Or advint ung jour après mydy qu’elle fut lassée de courir et recourir après les bestes sauvaiges et si se bouta dedens ung boys pour se reposer. Et quant elle ot son arc destendu et posé son carcas à terre, elle se coucha dessus l’erbe et mist sa teste sur son carcas. Lors Jupiter, qui la poursuivoit à l’ueil, voyant qu’elle estoit lasse et seulle, se pensa qu’il la despucellerait sans ce que Juno sa femme s’en apparcüst. Et pour ce faire print la fourme de Dyane, qui estoit maistresse de Calisto, et lui demanda où elle avoit chassié toute celle journée. Et Calisto, cuidant de Jupiter que ce feüst Dyane, en luy voulant dire moult humblement et reverentement où elle avoit esté chasser, illueques la surprint Jupiter, et de fait despucela. Et fut enceinte. Et puis, quant il eut fait à son plaisir, s’en monta ou ciel et la povre fille demoura moult esbahie et dolente. Et lors, comme Dyane et ses compaignes passèrent par les montaignes o grant foison de sauvaignies, elle vit Calisto, si l’appella. Laquelle sans riens dire de son fait secret se mist en celle compaignie. Mais neantmoins elle se tint plus honteuse qu’acoustumé n’avoit, doubtant que on s’en apparceüst. Puis, quant huis mois furent passez, il fist chault, pour le quel Dyane et ses compaignes toutes se despouillèrent pour soy baigner en une belle fontaine, qui là estoit dedens ung boys, mais moult fut grief à Calisto de soy despouiller. Et quant despouillée fut maulgré soy, chacune d’elles congneüt qu’elle estoit fort grosse d’enfant. Et pour ce fut elle chassée de la dite compaignie, sans soy y baigner. Et puis, quant elle ot enfanté ung filz, qui bien retraioit à son père et fut nommé Archas, Juno, qui par avant estoit esprinse da jalousie aussi comme forcenée sceüt et congneüt que Jupiter, son mary, avoit engendré cellui enfant, si s’en vint assaillir la povre Calisto moult fierement en lui disant : „Garse ribaulde, avez receü mon mary à vostre puterie ? Comment l’osastes vous faire ? Mon mary m’avez fortrait et si en serez diffamée”. Et lors Juno luy courut sus, si la print par les cheveulx et la tumbe toute eschevelée à terre. Et tant durement l’abbatit et deffoulla, que sa char en fut nercie et ses bras et sa face devindrent si peluz de poil horrible que la beaulté de son visaige fut muée en laidure. Et combien qu’elle luy criast mercy, riens ne lui valut. Mais pour plus la faire abhominable luy fut sa bouche fendue jusques aux oreilles et ses ongles faiz longs et aguz et ses mains tant crochues et contrefaictes que elle marcha dessus en lieu de piez. Et finablement fut rendue si abhominable que qui en ce point la veϊst ne creüst pas que Jupiter en eüst daigné faire s’amie. Encores Juno, de ce non contente, luy tollit la parolle tellement qu’elle ne povot dire mot, mais seullement sonnoit sa voix erroueement, et ne luy demoura si non l’entendement et la pensée. Et atant fut muée en ourse. Adoncques Calisto, soy voyant ainsi defolée, se complaignit moult durement de Jupiter, qui l’avoit defolée, defflorée et deshonnourée, et s’en alla par my les champs comme une folle beste, que les chiens abbayèrent sans oser entrer dedens les boys pour doubte des ours et des loups qui y estoient. Et fut en icellui point jusques à quinze ans. Et lors son dit filz Archas, qui ja estoi grant devenu et beau damoiseau, comme il tendoit se reseulx pour prendre des bestes sauvaiges, vit passer le dicte Calisto sa mére, qui bien le congneüt. Mais il ne la cogneüt pas. Et comme elle le poursuivoit, il print son dart, dont il la voulut enferrer. Mais Jupiter, soy recordant de l’amour qu’il avoit à elle, l’en garda et si ravit la dite mère et son enffant avec son dart lassuz ou ciel, dont encores est l’estoille appellée „ourse”, en quoy Jupiter la mua.

 

Exposcion de la dicte fable de Calisto

 

Par Calisto, qui moult fut belle tant comme elle fut vierge et servante et la mieulx amée de Dyane, peut estre entendeu Judée, laquelle, tant comme elle fut nette et pure, se souloit jadis occuper au service et obbaϊr à la loy de nostre Seigneur Dieu tout puissant, manant en Trinité de personnes et regnant eternellement en une seulle unité et simple essence divine, dont icelle Judée fut si chierement honnourée que le Filz de Dieu, pour rachatter homme d’enfer, se voulut tant humilier et prendre char humaine ou precieux ventre de la glorieuse Vierge Marie, qui fut yssue de la royal lignée de Juda laquelle Judée fut de Dieu moult amée jadis, mais elle se esloigna grandement d’icelle amour, quant par son vice elle reffusa de soy baigner à la fontaine du saint baptesme, que li doulx Jhesucrist ordanna aux hommes pour remedier contre le pechié originel. Et lui meϊsmes y voulut estre baptizé, combien qu’il n’y feϋst pas subgect. Et se par sa grant misericorde et bonne amour il ne l’eϋst attendue à soy repentir de ses pechiez et convertir à sa saincte foy catholique, peut estre qu’il eϋst prins exterminative vegeance d’elle et de son incredulité obscure. Mais en la recordacion de ce qu’il a jadis si chierement amée par avant qu’elle mesfeïst envers lui, comme elle a fait, il l’a longuement et benignement attendue et encores l’attent à conversion salutaire en estencion qu’elle s’amende et soyt par lui finablement sauvée en la gloire de paradis.

 

Exposicion sur la dite fable de Calisto, et comment Juno fut marrie et se plaignit de ce qu’elle devint estoille qui fut mise ou ciel

 

Après ce que dessus vous est declairé comment Jupiter preserva Calisto que son filz Archas ne la tuast et comment il la deïfia et en estoille la mua, maintenant rest à vous racompter comme Juno s’en courrouòa quant elle la voit ou ciel colloquée et y reluire avecques les autres estoilles, ce qu’elle ne lui povoit pas oster ne empescher. Si est assavoir que Juno se descendit du ciel et s’en vint à la mer pour parler et se plaindre aux dieux marins, qui honnourablement la recueillirent en lui demandant pour quelle cause elle venoit. A quoy elle leur dist ainsi en effect : „Je souloise estre dame et deesse des damesdieux, mais de present je y ai maistresse qui en lieu de moy veult le ciel tenir. Et se ne m’en croiez, si regardez dès ennuytie au soir ou firmament, et vous la verrez assise entre les sept estoilles qui sont par ordre mises environ l’esseul derrain, qui autrement est dit le pol artique, c’est assavoir celle pute paillarde Calisto, que j’avoie pugnie griefvement et muée en oursse pour ce qu’elle s’estoit fait despuceller et engroisser par mon mary, dont elle a enfanté ung filz nommé Archas, et laquelle avuecques son dit filz mon dit mary a deϊfiez et convertiz en estoilles luysans. Dont j’ay telle rage de dueil que je se scay à qui m’en plaindre si non à vous, en vous priant et requerant tant chitrement comme je puis que jamais vous ne la laissez descendre ça jus en vostre mer, comme font les estoi les qui sont dit esseul loingtaines”. Laquelle chose luy fut octroyée des dits dieux marins, de quoy Juno s’en retourna assez contente. Mais de cela ne chalut guères à Calisto, pour ce qu’elle estoit et encor est mise en nostre emispére et en l’opposite de mydy devers septentrion avecques les autres six estoilles qui y sont d’ecelle mesme condicion, c’est à dire assises par ordre assez près de l’essieul dessus dit. Et selon les fables ne font icelles sept estoilles se non tournoyer assez lentement à l’environ de luy, sans descendre devers la mer, ainsi que font les dites autres estoilles. Qui en sont loingtaines. Autre sentence y peut avoir, qui est telle que quant il plaira à Dieu par misericorde donner à la dite nacion de Judée grace de soy repentir de son erreur obstinée et voulenté de soy convertir et reduire à luy et à sa saincte foy catholique, encores la recevra il à sa mercy et lui donnera pardon et puis la sauvera et mettra en gloire. Et ce fait sare la dite Judée en seürté, excepté de ses ennemis qui en erreur l’avoient teneu si longuement. Et d’icelle conversion seront ses dits ennemis dolens et marriz.